La livraison d'octobre et novembre illustre la diversité des objets, des problématiques et des champs disciplinaires couverts par la collection « Repères » :
Le 19 novembre, le Conseil d'État a donné trois mois au gouvernement pour justifier que la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre, à l'horizon 2030, pourra être respectée. Le respect des engagements climatiques est ainsi devenu contraignant. S'ouvre par conséquent un espace pour l'action juridique, qui va devoir disposer d'outils pour l'instruction et le jugement. Les compensations écologiques en sont un, avec ses résultats encourageants, par exemple en matière de préservation de la biodiversité, et ses limites, quand elles sont instrumentalisées de façon opportuniste. C'est ce que montre bien Harold Levrel dans ce « Repères » sans équivalent, parce qu'il en explore finement les modalités, aux effets variables selon les contextes et le degré de volonté politique.
Les économistes ont longtemps négligé la barrière écologique. Ils ne le peuvent plus. Le SARS-COV-2 nous rappelle, à sa façon, que l'économie n'est pas un système autonome, clos, indépendant de son environnement. Voici qui complique sérieusement la tâche de nos amis conjoncturistes de l'OFCE. Mais ils ne refusent pas l'obstacle et sont au rendez-vous pour nous offrir le « Repères » consacré chaque année à l'économie française. Une année singulière. Quand l'incertitude est grande, nous avons plus encore besoin de balises, pour espérer atterrir en limitant la casse.
Il vous arrive peut-être de rencontrer des personnes qui n'aiment pas les économistes. Oui, cela existe. On leur reproche beaucoup de choses, mais l'une des condamnations habituelles se fonde sur leur prétendue amoralité. L'Homo oeconomicus serait le froid calculateur de son intérêt personnel, sans compassion pour son prochain. Cette vision réductrice est déjà fausse si l'on prend la peine de lire Smith, qui se donne beaucoup de mal pour réfuter Mandeville. Mais elle l'est nécessairement si l'on s'intéresse à l'économie normative, notamment l'économie publique, qui doit recourir à des critères de justice inspirés par une philosophie morale. Le plus souvent, celle-ci est l'utilitarisme, lequel n'a pas toujours bonne presse non plus, en particulier lorsqu'on le réduit, lui aussi, à sa version vulgaire. Or il existe de nombreuses variétés d'utilitarisme, fort différentes les unes des autres, malgré leur air de famille. Suffisamment nombreuses pour justifier que l'on y consacre un « Repères ».
Oui, chère lectrice, cher lecteur, vous avez bien lu. En l'an 2020, sans partenariat avec Les Cahiers du cinéma ni financement occulte, nous prenons le risque inouï d'un titre aussi dérangeant. Il existe une sociologie de Mozart, mais c'est la sociologie d'un génie, qui a voulu être un artiste indépendant dans un univers social où la réalisation de ce désir était impossible. Il existe une sociologie de Manet, mais elle analyse les conditions sociales de possibilité d'une révolution symbolique. On comprend plus difficilement que l'on puisse s'intéresser à l'interprète de Dirty Harry, dont le cas pourrait être réglé par quelques étiquettes bien choisies : fasciste, sexiste, raciste, trumpiste, etc. Pourtant, Godard lui a dédié son Détective, sa réception par la critique française, y compris de sa frange « intello-chic », est loin d'être insultante et les féministes américaines ne lui sont pas toutes hostiles. Clint Eastwood est un objet intéressant pour la sociologie justement parce qu'il résiste à ce mode d'interprétation. C'est l'enjeu de ce « Repères », dont le sous-titre pourrait être « sociologie de l'ambivalence ».
Pascal Combemale, directeur de la collection « Repères »