Chères lectrices, chers lecteurs,
Reprisez-vous vos chaussettes ? Avez-vous un compost ? Avez-vous bien lu la notice du tri des déchets avant de descendre vos poubelles ?
Jadis, l’impératif était que « rien ne se perde ». Les vieux chiffons servaient à fabriquer du papier, les boues animales et urbaines devenaient de l’engrais, les os aussi étaient réutilisés pour des colles, les graisses pour la fabrication de bougies, etc. Avec l’hygiénisme, la circulation des déchets et des matières organiques apparut comme l’une des causes principales d’épidémie. En 1884, Eugène Poubelle, alors préfet de la Seine, accéda à la célébrité en imposant aux propriétaires de fournir aux locataires des récipients pour mettre les ordures ménagères, les « poubelles ».
L’économie circulaire s’oppose assez logiquement à l’économie linéaire, laquelle, de l’extraction de ressources jusqu’à la consommation finale, ne conçoit aucune limite. Si l’on prend au contraire conscience de l’existence de limites, qu’il s’agisse des ressources naturelles ou des déchets, il faut en revenir à L’Économie circulaire, comme le font Franck Aggeri, Rémi Beulque et Helen Micheaux. L’idée n’est pas nouvelle. Dans un livre de 1966, l’économiste Kenneth Boulding proposait de passer de l’« économie du cow-boy », fondée sur la prédation des ressources naturelles, à l’« économie du cosmonaute », dans laquelle la Terre est devenue « un vaisseau spatial isolé, sans réservoir illimité ni pour l’extraction, ni pour la pollution »… Comme beaucoup d’autres idées comparables, elle fut oubliée dans les années 1980. Son retour date de 2010, quand fut lancée la Fondation Ellen MacArthur. La navigatrice promet alors un modèle nouveau, économiquement viable, écologiquement soutenable et créateur d’emplois : l’économie circulaire. La fondation, qui bénéficie de soutiens financiers importants, s’associe à un cabinet de conseil apprécié de nos dirigeants, McKinsey. Émerge alors comme un business model résumé par les 3 R : réparation, réutilisation, recyclage. Réduire l’empreinte environnementale sans sacrifier la croissance économique, grâce au découplage entre cette dernière et la consommation de ressources et d’énergie, voilà de quoi séduire les avocats de la soutenabilité faible. Mais il est permis d’objecter que la technologie ne nous sauvera pas sans transformation radicale des modes de production et de consommation. Vous l’avez compris : il y a économie circulaire et économie circulaire…
L’Ethnographie économique, complètement actualisée, s’appelle désormais La Nouvelle Anthropologie économique. Caroline Dufy et Florence Weber avaient naguère tenu à ce premier titre afin de mettre l’accent sur la méthode, avant tout empirique, au plus près de l’objet d’étude, attentive à la parole des enquêtés et au sens qu’ils donnent à leurs pratiques. Ce retour vers l’anthropologie s’explique par le renouveau de celle-ci. Désormais, elle n’apparaît plus démodée, limitée à l’étude des sociétés pré-industrielles, mais peut au contraire se prévaloir de sa transdisciplinarité pour ne plus limiter son champ d’investigation. Les nouveaux anthropologues étudient la Bourse de Shanghai, la Russie postcommuniste, les monnaies numériques, les algorithmes, etc. Quant à l’adjectif, il est justifié par des objets habituellement réservés aux économistes, qu’il s’agisse d’analyser le marché et la monnaie, la consommation de masse et l’entreprise capitaliste, le travail de production et de reproduction. Par conséquent, un « Repères » pour des lectrices ou lecteurs aux centres d’intérêt variés.
Comme chaque année désormais, nous publions un État du management réalisé par le laboratoire de l’université Dauphine, Dauphine Recherches en Management. Une occasion de rappeler le lien organique entre « Repères » et la recherche. Cette livraison est principalement consacrée au passage d’une économie de la consommation à une économie de la sobriété. Un passage qui pose la redoutable question du changement des comportements, que l’on souhaiterait écologiquement responsables.
Et vos « Repères », vous les conservez ? vous les collectionnez ?
En ces temps agités, je vous souhaite un joli printemps.
Pascal Combemale