Finance, défaillance et corruption... tout un programme

Chères lectrices, chers lecteurs,

 

Cette lettre m’offre l’opportunité de vous présenter, in extremis, mes meilleurs vœux pour 2022. C’est une coutume périlleuse, qui sert probablement à conjurer l’incertitude. Celle-ci est l’un des traits irréductibles de notre condition, mais, quand nous la confondons à tort avec le risque, il nous paraît que son degré varie selon les années. Nous pouvons par exemple être enclins à penser que les mutations du Covid l’accentuent, l’élection présidentielle peut-être aussi.

Les décisions des agents économiques dépendent de leurs anticipations. Et il est bien connu que le plus difficile est de prévoir l’avenir. Parmi ces agents, certains prétendent y parvenir mieux que les autres, parce que c’est en quelque sorte leur métier. Je songe ici à l’univers de la finance, où l’on fait commerce de promesses (pour reprendre le titre de l’excellent livre de Pierre-Noël Giraud). Nous avons déjà publié plusieurs livres sur ce monde merveilleux, au point que cette veine pourrait paraître épuisée. Mais Tristan Auvray, Nicolas Bédu, Caroline Granier et Sandra Rigot l’analysent dans une perspective originale, éclairante, comme une branche d’activité, où s’affrontent des firmes, distinguées par leurs stratégies, leurs technologies, leurs innovations… Le titre de ce Repères, L’Industrie de la finance, doit donc être interprété au pied de la lettre : penser la finance comme une industrie permet de mieux comprendre une évolution qui concerne désormais presque 5 % de l’emploi en France.

L’une des caractéristiques des relations dans ce secteur est l’asymétrie d’information, probablement plus forte qu’ailleurs. Il n’est pas facile de choisir un camembert ou un melon, mais il est plus difficile de choisir une tranche de CDO au cube. Cela explique l’existence des Agences de notation, dont les défaillances ont été révélées au grand public lors de la crise des subprime. Cette crise ne leur a pas été fatale : cet oligopole mondial a survécu et cela justifie cette nouvelle édition du livre de Norbert Gaillard. On y apprend beaucoup de choses sur notre présent, mais aussi sur l’histoire, par exemple que le « Bureau des renseignements universels pour le commerce et l’industrie », à ne pas confondre avec le « Bureau des légendes », fut créé par Eugène-François Vidocq.

La transition pourrait sembler aisée avec le dernier titre de cette livraison, que nous devons à Françoise Dreyfus : Sociologie de la corruption. Il n’en est rien car cette réalité est complexe, rebelle à l’analyse, sa définition même variant dans le temps et dans l’espace. Celle que donne Transparency International est toutefois cursive : « l’abus d’un pouvoir conféré en vue d’un gain privé ». On songe spontanément à la corruption politique, au clientélisme, à des formes d’« échanges sociaux » impliquant un acteur public et un acteur privé, à la frontière du lobbying, mais l’une des qualités de ce Repères est d’inclure les relations entre acteurs privés. Au-delà de l’intérêt intrinsèque, me semble-t-il évident, que l’on peut porter à ce sujet, il est passionnant en tant qu’objet d’étude pluridisciplinaire, multifactorielle, qu’il s’agisse des liens entre la corruption et le régime politique, plus ou moins démocratique, le niveau de développement, la configuration institutionnelle, les traits culturels, etc. Parmi les nombreuses questions traitées, une interrogation peut servir de fil directeur : dans quelle mesure la marchandisation des rapports sociaux, la généralisation, y compris dans les politiques publiques, du « donnant-donnant » ne contribuent-elles pas à la propagation de la corruption, malgré la multiplication des discours promettant son éradication ?

Mais mon intention n’était pas de saper votre moral en ce début d’année. Au contraire, j’imagine qu’il a besoin d’être conforté…

Pascal Combemale, directeur de la collection Repères