Repères are in the kitchen

Chère lectrice, cher lecteur,

 

Le temps de gestation des Repères nous impose d’anticiper le cours de l’histoire. Nous y parvenons parfois, à quelques approximations près. Le livre de Pauline Schnapper, La Politique au Royaume-Uni, en est un bon exemple. Certes, nous n’avions pas prévu la date du décès de la Reine, malgré la probabilité croissante de l’événement. Ni la brièveté de l’épisode Liz Truss, locataire durant 44 jours du 10 Downing Street. Mais le choc du référendum de 2016 a révélé la déstabilisation d’un régime politique qui a longtemps servi de modèle de démocratie parlementaire, en particulier pour son équilibre des pouvoirs. Or cette situation n’est pas complètement étrangère à la nôtre, celle d’une crise de la démocratie, qui se manifeste de multiples façons, dont l’abstention, la désaffiliation partisane, les dérives populistes. Les réactions en chaîne depuis le Brexit ont révélé que le système politique ne parvenait plus à gérer les conflits entre l’exécutif, le législatif et le juridique, dans un climat de montée des tensions de toute nature, entre le peuple et les élites, les « gens de nulle part » et les « gens de quelque part », les autochtones et les immigrés. Tout ceci sur fond d’inégalités croissantes, de paupérisation des zones périphériques, avec à l’horizon un risque d’implosion de l’Union elle-même. Les raisons de s’intéresser à ce qui se passe outre-Manche ne manquent pas. Vous souvenez-vous du slogan des Brexiters ? Take back control. Facile à dire…

Voici une autre question : Liverpool-Real Madrid, en mai dernier au Stade de France, y étiez-vous ? C’était « chaud ». Le ministre de l’Intérieur a incriminé les « hordes » de supporters anglais, suspectés d’avoir voulu entrer avec de faux billets. Il n’a pas parlé de hooligans, mais il reportait clairement la faute sur eux. Deux jours plus tard, à Geoffroy-Guichard, stade mythique de notre jeunesse, les supporters de Saint-Étienne ont envahi la pelouse, mécontents après le tir au but qui a rétrogradé leur équipe en ligue 2. Les plus âgés parmi vous se souviennent peut-être du film de Jean Pierre Mocky, À mort l’arbitre. Le supporter y apparaît comme un « beauf », simple d’esprit, chauvin, raciste, sexiste, violent, etc. Dans quelle mesure ce cliché correspond-il à une réalité sociologique ? Jusqu’à une date récente, il existait peu de travaux pour répondre à cette interrogation. L’ouvrage de Ludovic Lestrelin, Sociologie des supporters, montre que ce n’est plus le cas, d’autant qu’il ne se limite pas au seul football et propose une synthèse de ce que l’on appelle outre-Atlantique les fan studies. Car il n’y a pas que le foot dans la vie (il y a aussi le golf, mais ce sport semble l’objet d’un certain discrédit en ce moment…).

L’un des intérêts de ce livre est de montrer à quel point le supportérisme reflète l’évolution de la société : le Liverpool des Reds d’aujourd’hui n’est plus celui des Beatles et le RC Lens n’est plus tout à fait un club dont les valeurs sont inspirées par l’éthique du travail des mineurs, bien que l’on continue à chanter « Au Nord c’était les corons ». J’en profite toutefois pour saluer les « Sang et Or ». Parmi les facteurs de cette évolution, il y a, ici comme ailleurs, la financiarisation du sport spectacle. Si vous êtes une supportrice, ou un supporter, sachez que « tifosi » vient de « tifo », le typhus : une maladie qui donne beaucoup de fièvre…

Prévoir la conjoncture est particulièrement difficile en ce moment. J’en veux pour preuve cette citation stupéfiante de Christine Lagarde, lors du Late Late Show (sur une chaîne irlandaise) du 28 octobre : Inflation has just pretty much come about from nowhere (sic, j’ai vérifié). Si la banquière centrale ne sait pas d’où vient l’inflation, on comprendra que nous soyons désemparés. De son côté, dans une étude récente, le FMI a concédé que ses modèles n’expliquaient pas plus de la moitié de l’inflation. C’est déjà mieux, mais on mesure l’exploit réalisé par nos amis de l’OFCE dans cette livraison annuelle du Repères consacré à L’Économie française 2023 et qui paraîtra le 1er décembre. L’un des chapitres s’intitule : « Quelle trajectoire pour l’économie française au cours du prochain quinquennat ? » Voici qui suscite une admiration paradoxale : la vigie est d’autant plus indispensable que la brume s’épaissit.

 

Je vous souhaite d’excellentes lectures,

 

Pascal Combemale