Repères dans la valise

Chères lectrices, chers lecteurs,

Nous vous proposons deux Repères d’économie pour cette livraison de juin.

Le premier s’intitule fièrement Économie des plateformes. À première vue, ce titre est justifié par une réalité désormais familière : nous sommes cernés pas les plateformes. Nous ne citerons pas de noms pour ne pas leur offrir une publicité gratuite dont elles n’ont d’ailleurs pas besoin, mais certaines n’apparaissent pas immédiatement comme telles, par exemple les consoles de jeux. Plus importante qu’un simple tour d’horizon nous semble la perspective retenue dans le livre de Maya Bacache-Beauvallet et Marc Bourreau : se demander ce que les plateformes font à l’analyse économique. Les moins jeunes se souviennent que le guide écrit par Carl Shapiro et Hal R. Varian, qui traite de l’économie de l’information à ses débuts, date de 1998. En dissociant l’information de son support, le numérique a induit un changement majeur. Pour rendre compte de cette innovation au cœur de la « nouvelle économie », une économie de l’information s’est alors développée, qui a intégré ses caractéristiques : les coûts marginaux faibles et les coûts fixes importants, les biens non-rivaux et les biens d’expérience, les systèmes technologiques. Les plateformes pourraient n’être qu’un simple prolongement de cette économie, mais elles se distinguent avant tout par l’ampleur des effets de réseaux. Qu’il s’agisse de trouver un médecin, une location pour ses vacances d’été dans le Cantal, ou un acquéreur pour le buffet de son arrière-grand-mère normande, nous sommes d’autant plus incités à utiliser une plateforme que le plus grand nombre l’utilise aussi. Il s’ensuit tout une série de conséquences en matière de concurrence, de stratégies des firmes, d’inégalités, d’emploi, dont certaines justifient une régulation, encore insuffisante. Sur la base d’une typologie précise, ce Repères explore tous ces aspects et offre une synthèse actualisée des très nombreux travaux de recherche qui leur sont consacrés.

Le second ouvrage, sans aucune relation, traite du Private equity. Diantre ! Un Repères entier dédié à ces fonds de capital-investissement, dont la réputation n’est pas toujours flatteuse. Nous reconnaissons volontiers ne pas leur avoir prêté grande attention quand ils ont commencé à se développer dans les années 1980. Et nous avons continué à privilégier l’analyse des circuits traditionnels de financement, les banques et les marchés financiers, en nous demandant lequel des deux tendait à prédominer, aux États-Unis et en Europe. Il pouvait sembler étrange que des sommes importantes soient investies en fonds propres ou quasi-fonds propres dans des entreprises non cotées. Mais ces institutions se sont installées au cœur du capitalisme financier et exercent désormais une grande influence car leur rôle s’étend, au-delà du financement, à l’expertise managériale et à la promotion d’un nouveau mode de gouvernance. Cela pouvait ne pas suffire pour leur consacrer un livre de cette collection, mais nous avons eu la chance que nous soit soumis un projet pluridisciplinaire. Nicolas Bédu, Fabien Foureault et Jean-Étienne Palard développent en effet trois perspectives : économique, sociologique et gestionnaire. Elles sont toutes les trois pertinentes. En effet, le private equity n’est pas seulement une réalité économique : il a une incidence sur le management des firmes, et sa puissance est attestée par la création d’une véritable profession, dont on comprend mieux l’orientation lorsque l’on étudie la trajectoire sociale de ses membres, qui appartiennent généralement à ce que l’on peut nommer rapidement une « élite », partageant une même idéologie. Il ne s’agit donc pas d’un simple livre sur le private equity, il s’agit d’un Repères.

En ces temps difficiles, nous vous souhaitons, chères lectrices, chers lecteurs, d’excellentes vacances.

Pascal Combemale