Chère lectrice, cher lecteur,
Les deux titres de cette livraison d’octobre semblent comme une résurgence du passé dans un présent qui ne l’a pas encore effacé.
La taxation des transactions financières n’est pas une idée nouvelle. Tobin l’avait proposée en 1972, Keynes l’avait préconisée bien avant. Le stamp duty, ce droit de timbre sur les achats d’actions, a été instauré au Royaume-Uni en 1694, ce qui en fait le plus vieil impôt en vigueur outre-Manche. L’enjeu aujourd’hui est celui de la mondialisation de cette taxation. Pour deux raisons principalement : d’une part, limiter la spéculation ; d’autre part, financer les biens publics mondiaux, tels que la préservation de l’environnement.
Depuis les années 1970, la valeur des transactions boursières mondiales a été multipliée par plus de 500. Les estimations varient, mais si l’on suit l’auteur de ce Repères, Gunther Capelle-Blancard, sous la condition d’inclure les transactions intrajournalières et le trading haute fréquence, une taxe d’un faible montant, 0,5 %, permettrait de collecter plus de 400 milliards d’euros (en France, les recettes actuelles n’excèdent pas 2 milliards car le taux de 0,3 % s’applique à une base restrictive).
Il existe des critiques des projets de taxation, souvent relatives aux effets sur la liquidité et l’efficacité des marchés, qui sont à considérer. Dans ce débat, se vérifie que « le diable est dans les détails ». C’est ce qui justifie ce livre, notamment la présentation pédagogique de nombreux cas concrets. Il s’en déduit que nous disposons désormais d’un retour sur expérience suffisant pour fonder une évaluation convaincante de ce qui pourrait constituer la première pierre d’une fiscalité mondiale.
La seconde nouveauté de ce mois d’octobre était attendue de longue date : Les classes sociales en France. Pour une génération désormais vieillissante, mais encore nombreuse, il ne faisait pas de doute que l’« histoire de toute société jusqu’à nos jours » était l’« histoire de la lutte des classes ». Il est connu que Marx n’était pas l’inventeur du concept, tant la réalité sociale de l’époque des économistes classiques semblait conforter cette grille d’analyse : les travailleurs recevaient des salaires, les capitalistes des profits et les propriétaires terriens des rentes, les intérêts de ces trois groupes étant tendanciellement antagonistes. Ensuite, les choses se sont compliquées, avec l’approfondissement de la division du travail et l’émergence d’une classe moyenne, elle-même différenciée. Que faire par exemple des cadres, qui se trouvaient des deux côtés : du côté des salariés, bien que privilégiés, tout en étant « fonctionnaires du capital » ? Constatant l’« embourgeoisement » de la classe ouvrière, fallait-il en rester à l’échelle nationale ou raisonner à l’échelle mondiale, en phase avec la mondialisation du capitalisme ? Après la complexification est venue la conjecture de la disparition. Paradoxalement, c’est à Pierre Bourdieu, pourtant critique de la conception marxiste, que l’on doit une reformulation de la problématique qui a en quelque sorte sauvé l’analyse classiste, intégrée à sa conception de l’espace social. Toutefois, cette persistance de la grille de lecture classiste, soutenue en France par la nomenclature statistique de l’Insee, celle des catégories socioprofessionnelles, a été bousculée par la montée de l’intersectionnalisme. A priori, celle-ci complète et enrichit l’analyse, en introduisant de nouvelles dimensions, le genre et la race, principalement. Mais cette articulation ne s’est pas faite aisément, voire a été douloureuse dans le cas français, suscitant une controverse largement intergénérationnelle, au point d’occulter parfois les classes sociales, à un moment où elles semblaient se dissoudre dans les réseaux, ou s’affaiblir sous l’effet de la fragmentation de la société, traversée par de nouvelles lignes de fracture. Cette évolution a heureusement suscité un renouveau de l’analyse des classes, aussi bien sur le plan conceptuel, par exemple avec la référence à des microclasses (David Grusky), que méthodologique (analyse affinée de la mobilité sociale). Le moment nous semble donc bien choisi pour publier ce Repères, que nous devons à Gérard Mauger.
Bonne lecture,
Pascal Combemale