Février en économie

Chères lectrices, chers lecteurs,

 

Bien que tous placés sous l’étiquette « Économie », les trois « Repères » de cette livraison sont très différents.

Le premier peut faire craindre une trop grande technicité, puisqu’il porte sur Les Options. Notre vocation étant de conjuguer scientificité et lisibilité, nous sommes souvent confrontés à cette tension. Un sujet peut exiger une grande technicité, ou tout simplement beaucoup de maths, parce qu’il est très « pointu », limité aux échanges entre spécialistes. Mais il peut aussi, bien qu’apparemment dissuasif, avoir de fait une grande importance dans la réalité. Or les options ont révolutionné le fonctionnement des marchés financiers depuis le milieu des années 1980 en substituant un droit (d’acheter ou de vendre un actif sous-jacent) à un engagement, plus contraignant, et donc moins flexible. Leur création a suscité des innovations financières en chaîne, telles que l’apparition de « fonds de volatilité ». L’auteur, Didier Marteau, nous a convaincus de prendre ce risque, non couvert, parce qu’il a l’expérience pédagogique de séquences de formation sur ce sujet. Il a notamment recours à de nombreuses études de cas concrets pour illustrer les stratégies permises par ces produits dérivés, dont certains sont « exotiques ». Nous sommes donc ici dans la catégorie : « Tout ce que vous avez voulu savoir sans oser le demander »…

Le deuxième « Repères » n’a manifestement aucun lien avec le précédent, car il s’agit d’une Économie de l’obésité. L’étonnement pourrait venir, non du sujet lui-même, mais de sa préemption par les économistes. Pourtant, à y réfléchir un peu, s’il existe des facteurs biologiques et sociologiques, le revenu et le type de travail (dont le stress) sont des déterminants à prendre en compte. Il apparaît ainsi que le revenu gagné (par le travail) a moins d’incidence que le revenu non gagné (la rente) parce que ce dernier implique une moindre activité physique. De plus, les économistes prennent aussi en compte des facteurs a priori sociologiques, comme les consommations positionnelles (indicatrices du statut, par exemple être végétarien) ou l’influence des pairs. Et l’on sait qu’ils n’hésitent plus à intégrer des facteurs psychologiques comme les biais cognitifs (privilégier la satisfaction immédiate, minimiser le coût futur, prendre le menu par défaut…). Mais l’argument le plus décisif est qu’il s’agit d’une maladie en expansion rapide dont Nathalie Mathieu-Bolh montre qu’elle peut être combattue par des politiques publiques. Au niveau mondial, l’OMS compte 378 millions d’enfants en surpoids ou obèses en 2019. En France, 8 millions de personnes sont en situation d’obésité, 17 % des enfants et des adolescents sont en surpoids. Or c’est un facteur de risque avéré pour de nombreuses maladies et cela a aussi des conséquences en termes d’employabilité et de productivité. Des exemples de politiques sont la taxation de la « malbouffe » et des boissons sucrées, les subventions aux fruits et légumes frais, l’éducation sanitaire dans les écoles ou une meilleure information des consommateurs. Ce « Repères » présente un état du savoir économique sur tous ces aspects, qu’ils soient factuels ou normatifs. Instructif et utile.

Le troisième livre évoque pour nous un passé désormais lointain parce qu’il porte sur L’Économie de l’Amérique latine. Au cours des années 1970, pour de multiples raisons, dont le coup d’État au Chili, les regards étaient tournés vers ces pays. Les Veines ouvertes de l’Amérique latine d’Eduardo Galeano date de 1971. C’est là-bas que les choses se passaient, également sur le plan de l’analyse économique, avec notamment la théorie de la dépendance (Prebisch, Furtado, Frank). On se passionnait alors pour les stratégies de développement. Puis, avec l’essor des nouveaux pays industrialisés (NPI), l’émergence de la Chine et de l’Asie en général, l’attention s’était quelque peu détournée de l’Amérique latine. Son histoire apparaissait comme une succession d’espoirs déçus. Vera Chiodi et Philippe Roman montrent qu’elle ne s’est pas pour autant figée : lorsqu’on observe les trente dernières années, les taux de pauvreté et d’extrême pauvreté baissent dans quasiment tous les pays, les niveaux d’éducation s’améliorent, et la couverture des services publics (eau, assainissement, électricité, etc.) s’étend. Certes, la diversité demeure grande au sein d’un continent aussi étendu, qu’il s’agisse du climat, de l’héritage colonial, de la culture ou des politiques économiques. Mais des points communs existent : une grande richesse en ressources naturelles couplée avec des difficultés à en tirer des bénéfices de long terme, une abondance de terres arables associée à un sous-emploi massif de la population rurale, des difficultés dans la sphère productive (déficit d’épargne et d’investissement, bas niveaux moyens de productivité) et un vaste secteur informel, une spécialisation dans l’exportation de matières premières à faible valeur ajoutée s’accompagnant d’une dépendance aux importations de biens intermédiaires, la récurrence des crises (de change, bancaires, de la dette). Cette focale, qui n’en exclut évidemment pas d’autres, apporte un éclairage complémentaire, riche d’enseignements sur la question, plus que jamais posée, du développement. De ce point de vue, et l’élection de Javier Milei ne le dément pas, l’Amérique latine demeure, pour le meilleur comme pour le pire, un laboratoire.

 

Bonne lecture,

 

Pascal Combemale