Chères lectrices, chers lecteurs,
Quand vient l’automne, il est difficile de résister à la nostalgie. Peut-être parce que l’on est tenté de regarder vers le passé (les beaux jours) plutôt que vers l’avenir (« winter is coming »). Le premier Repères de cette série nous parle d’« un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître ». Xavier Vigna signe en effet une Histoire de la société française : 1968-1995. Cette période est délimitée par deux mouvements sociaux, l’un qui apparaît rétrospectivement comme un accélérateur d’évolutions sociales et culturelles, l’autre qui témoigne de l’attachement à nos « acquis sociaux ». Comme souvent, la difficulté consiste à articuler les différentes temporalités, celle des changements structurels, notamment sociodémographiques, et des grandes tendances (urbanisation, salarisation, tertiarisation, etc.) avec celle des événements et des crises, plus apparents. Un tel effort de synthèse implique des choix, une perspective, mais c’est aussi ce qui justifie un livre sur une période que nous sommes quelques-uns, et quelques-unes, à avoir vécu.
Je me souviens aussi qu’en 1971 sortait Family Life, de Ken Loach. Les professeurs de SES emmenaient leurs élèves le voir, en ouverture de leur cours sur l’institution familiale, dont les effets pathogènes étaient alors dénoncés (du moins pour une certaine forme de famille). Contrairement à certaines prophéties de l’époque, la famille existe toujours, mais elle a beaucoup changé. Cette évolution justifiait une nouvelle édition de la Sociologie de la famille de Jean-Hugues Déchaux et Marie-Clémence Le Pape : la voici.
Il n’était alors pas seulement reproché à la famille d’être la cause de troubles psychiatriques. On y voyait également le creuset de la reproduction des inégalités sociales, par la transmission de toutes sortes de capitaux (économique, social, culturel, etc.). Cela, en revanche, n’a pas beaucoup changé. Comme le montrent Alain Bihr et Roland Pfefferkorn, avec de nombreuses statistiques, actualisées, ces inégalités tendent à se cumuler et se conforter. S’explique ainsi le titre de leur Repères : Le système des inégalités.
L’un des leviers contemporains d’augmentation des inégalités est l’accès au crédit, ou la possibilité d’emprunter des sommes importantes au moment où l’argent ne coûte « quasiment rien ». Celles et ceux qui peuvent le faire bénéficient de l’écart entre le rendement de leurs placements et le coût de leur financement. Ce n’est là qu’un des nombreux aspects de la question de la dette, qui va rester longtemps d’actualité. Il est permis de penser que tout a déjà été dit sur ce sujet, du côté des cigales comme de celui des fourmis. À tort. Économie de la dette d’Anton Brender, Florence Pisani et Émile Gagna apporte une nouvelle perspective, sur la base d’une équation au départ pourtant simple : tant que les ménages souhaitent épargner plus que les agents privés n’empruntent, on ne peut se rapprocher du plein-emploi si un autre agent, l’État, ne s’endette pas suffisamment.
De même qu’il existe une anthropologie et une sociologie de la dette, il existe une Sociologie des prix. Elle est probablement moins connue, mais le livre de Fabien Eloire et Jean Finez va lui conférer une visibilité qu’elle n’avait pas. Y sont présentés et analysés les multiples déterminants sociaux de la formation des prix, elle-même différente d’un marché à l’autre. Se vérifie ici que l’une des vocations de Repères est d’offrir plusieurs approches d’un même objet. Il nous semble que chaque discipline peut s’enrichir de la connaissance des autres regards possibles sur une réalité qui excède toujours, par sa complexité, les théories et les méthodes particulières à chaque membre de la grande famille des sciences sociales.
Comme bien d’autres, la dette n’est pas un problème circonscrit au territoire national. Il est même difficile de trouver un sujet qui ne justifie pas d’élargir la focale, souvent jusqu’à l’échelle planétaire. L’interdépendance entre les pays n’est pas nouvelle, mais elle a aujourd’hui clairement pour conséquence que leurs destins sont liés. Un signe de cette prise de conscience est la place qu’occupe désormais la géopolitique dans les programmes scolaires, ou les concours. Or il se trouve que nous savons aussi éditer des manuels. Et il nous a semblé que La Découverte était particulièrement compétente dans ce domaine. Géopolitique et géoéconomie du monde contemporain est le nom de cet ouvrage, nécessairement collectif, dirigé par Guibourg Delamotte et Cédric Tellenne, qui pourrait également intéresser vos enfants…
Pascal Combemale