Où allons-nous ?

Chère lectrice, cher lecteur,

 

Nous avons deux nouveautés et une nouvelle édition à vous présenter dans nos publications du mois d’avril.

La première est une Introduction à Bernard Charbonneau, que nous devons à Patrick Chastenet. Celui qui fut l’un des grands penseurs de l’écologie politique, contemporain et ami de Jacques Ellul, est injustement méconnu. Critique précoce de la société techno-industrielle, ou de ce qu’il appelait le « totalitarisme industriel », sa trajectoire, qui ne fut entachée par aucune compromission, peut se résumer par ce but : sauver la nature sans sacrifier la liberté.

Voici ce qu’il écrivait en 1969, dans Le Jardin de Babylone : « Nous courons d’abord le risque, non négligeable, d’une destruction de l’homme par celle de son milieu ; car une bonne prospective ne doit pas oublier qu’un siècle de société industrielle n’est rien, et qu’elle vient juste de naître. Et même si la connaissance scientifique et la maîtrise technique du milieu humain devaient progresser au même rythme géométrique que sa destruction, il n’en reste pas moins que, pour sauver l’homme d’une destruction physique, il faudra mettre sur pied une organisation totale qui risque d’atrophier cette liberté, spirituelle et charnelle, sans laquelle le nom d’homme n’est plus qu’un mot. »

Collaborateur de La Gueule ouverte, journal écologiste et politique dont quelques lecteurs ou lectrices ont peut-être conservé le souvenir, il n’a cessé de s’inquiéter de l’émergence d’un gouvernement mondial autoritaire imposant la sobriété par la force, au nom de la sauvegarde de la planète. Certes, Charbonneau n’était pas particulièrement optimiste, mais ce n’est pas une raison suffisante pour ne pas lire cette introduction, fort bien écrite.

La deuxième nouveauté est consacrée à l’École de ceux qui ont contribué à fabriquer cette société industrielle : Polytechnique. École de l’élite, du fait de sa sélectivité, école du pouvoir, car les X occupent des postes de direction dans l’administration ou les entreprises, école de la réussite sociale… Cette Histoire de l’École polytechnique, écrite par Hervé Joly, est un révélateur, non seulement de la reproduction sociale, mais aussi de l’évolution de notre système politique et économique, vu d’en haut.

Créée en 1794, puis réformée par Napoléon en 1804, Polytechnique fut d’abord une école militaire, qui servit de modèle à West Point. Le père de Simone de Beauvoir lui répétait qu’il l’aurait inscrite au concours si elle avait été un garçon. Anne Chopinet, fille et petite-fille de polytechniciens, a intégré major en 1972, mais, actuellement, moins de 10 % des admis sont des admises. Au concours 2019, 73 % des admis sont issus de la catégorie « cadres et professions intellectuelles supérieures ». En 2022, le taux des admis qui étaient boursiers sur critères sociaux en classes préparatoires se situe autour de 12 % (38 % dans l’ensemble de l’enseignement supérieur français). Une dizaine de lycées concentrent 80 % des admis, deux d’entre eux (Louis-le-Grand et Sainte-Geneviève) quasiment la moitié. C’est un reflet de notre société, accentué par un effet de loupe dû à la sélectivité.

Une autre question semble tout aussi importante : à quoi sert l’X ? Qu’elle soit devenue une école d’ingénieurs et non plus d’officiers (7 % des élèves rejoignent un corps militaire) n’a rien de particulièrement étonnant, dès lors que les élèves continuent à servir l’État ou le service public. Les élèves sont supposés servir l’État ou le secteur public, au moins dix ans, mais beaucoup pantouflent, souvent dans les multinationales ou la finance. Cette tendance pourrait s’infléchir, car une fraction croissante des nouvelles promotions semble plus soucieuse de l’intérêt général ou de causes telles que la transition écologique. Peut-on y voir comme une confirmation du cycle mis en évidence par Albert O. Hirschman dans Bonheur privé, action publique ?

La nouvelle édition est la troisième du livre de Thierry Paquot consacré à L’Espace public. Le singulier est ici trompeur car l’auteur met en relation l’espace public, tel que conçu par Jürgen Habermas comme pratique démocratique, et les espaces publics, tous ces lieux accessibles aux publics, aux habitants, que nous traversons quotidiennement. Le point commun, qui justifie cette perspective, est la communication, au sens large, qui facilite la circulation des idées, des personnes, des capitaux, des marchandises, etc. L’évolution technologique transforme les deux espaces, affectant aussi bien vie publique et vie privée, dans un processus qui s’accélère, malgré les résistances qu’il suscite. Un « Repères » original qui nous offre une meilleure compréhension du temps présent.

 

En vous remerciant pour l’attention que vous portez à cette lettre,

 

Pascal Combemale